N° 3 - Extraits du « Justicier du génocide arménien » Le procès Thelirian.

Editions Diaspora 1981, préface de Marcus Fisch


Soghomon Thelirian a abattu le 15 mars 1921, Talaat Pacha condamné par contumace par un tribunal militaire pour crime contre l'humanité et réfugié à Berlin avec la complicité du gouvernement allemand.

Le procès se déroula à Berlin le 2 et 3 juin 1921 et Thelirian fut acquitté.

Les témoignages de ce procès ont été relevés par sténographie par Georg Elgerd et Kludwig Becker.

Parmi les témoins, voici le récit de Mr Eftian, rescapé, habitant Paris.

« Lorsque nous arrivâmes à Malatia, on choisit dans le convoi cinq-cents jeunes et on les conduit sur une colline. Arrivés au sommet on était aussitôt dépouillé de ses objets de valeur, déshabillé, attaché les uns aux autres, puis abattu à coups de hache. Cependant, grâce à la nuit tombante, deux cents de ces jeunes gens eurent la vie sauve, car la religion interdit aux Kurdes de tuer pendant la nuit. Ils se désintéressèrent donc de leur « noble besogne » et partirent. Je réussis à me libérer de mes liens et suis allé rejoindre ma famille car les femmes étaient restées dans la vallée. Ma mère me posa toute sorte de questions, mais je ne pus lui répondre, j'avais la langue paralysée et les yeux pétrifiés. On me cacha d'abord sous des couvertures puis on m'habilla en femme. Trois jours plus tard les Kurdes revinrent, munis de cordes, pour massacrer les deux cents jeunes gens qui restaient. Ils avaient reçu l'ordre de ne pas laisser un seul homme vivant ! « Laissez vos biens ici et montez sur la colline ». On monta donc sur la colline où on trouva deux tentes préparées : une pour les hommes, une pour les femmes, et aussitôt les Kurdes à fouiller les hommes et les femmes, à les tuer et à les précipiter dans l'Euphrate. Mais à peine une dizaine furent tuées qu'une femme aveugle s'agenouilla au milieu du champ du carnage et fit cette prière à haute voix : »Dieu du ciel, toi que je prie depuis soixante-quinze ans, si réellement tu existes fais pour nous un miracle et sauves-nous ! » Juste à ce moment se produisit un tremblement de terre. Les Kurdes et les gendarmes terrifiés se sauvèrent en disant : »C'est le Dieu des ghiavours qui fait cela ! ». Mais peu après, leur chef Zeinal revint nous dire qu'il avait reçu du Vali de Malatia, l'ordre de nous tuer tous et que cet ordre serait exécuté , si on ne lui remettait pas 4,500 livres or.

Les femmes sacrifièrent leurs derniers bijoux et la somme fut réunie. « Je ne pensais pas, dit Zeinal, que vous seriez capables de réunir une telle somme. Cependant, je dois vous tuer puisque c'est un ordre du Vali ! ».

- « Comment, s'écria à ce moment le capitaine des gendarmes, Emine effendi, qui se trouvait là, vous osez prendre leur argent et vous n'avez pas le courage de tenir votre parole ! Je vous dis que si vous touchez à ces homme, vous êtes mort ! ».

Pris de peur, les Kurdes se sauvèrent. Quant à Emine Effendi, qui nous sauva la vie, il fut pendu plus tard sur ordre de Mustafa Kemal pour son acte héroïque…

Nous arrivâmes ensuite à Souroutch. Il y avait là près de 10,000 Arméniens venus de tous les cotés, mais les trois-quarts d'entre eux moururent de faim, de soif et de maladies. Après Samsek, nous parvînmes en deux semaines à Racca. Ceux qui ne voulaient pas aller à Der Zor devaient payer une livre or au Kaymakam ; huit cents environ purent rester dans la ville. Pendant deux ans, on nous fit travailler comme esclaves, le couteau sous la gorge. Cependant, il y a un fait que je ne puis oublier, ce sont les deux mille orphelins squelettiques que les Turcs « pour purifier la ville de cette vermine », ont fait embarquer puis noyer dans l'Euphrate…

Oh, ces cris d'enfants !… Je les entends encore aujourd'hui, ils me déchirent les oreilles et m'empêchent de dormir.

- Comment avez-vous pu être sauvé ?

- C'est un ordre spécial de Talaat Pacha, venu de Constantinople qui nous a fait libérer, moi, mon frère aîné,son fils Emmanuel Diran, ma sœur,Mme Christine Tersibachian et plusieurs autres famille arméniennes.


Témoignage de Mme Tersibachian, 26 ans.

L'audition a lieu avec un interprète.

...Nous arrivâmes à Malatia, le dos chargé de ce que nous pouvions encore emporter. On nous conduisit sur une montagne et on sépara les hommes des femmes, que l'on tenait à distance d'une dizaine de mètres les uns des autres. Ainsi chacun des deux groupes pouvait apercevoir ce qu'il advenait de l'autre.

Le président : et qu'advint-il aux hommes ?

Le témoin : ils furent abattus à coups de hache et précipités dans le fleuve.

Le président : vraiment les hommes et les femmes furent massacrés de cette façon ?

Le témoin : seuls les hommes furent tués de cette façon. Lorsque la nuit tomba, les gendarmes vinrent se choisir les plus belles femmes et les plus belles jeunes filles. Un gendarme avança vers moi et voulut faire moi sa femme. Celles qui résistaient et refusaient étaient transpercées à coup de baïonnette et écartelées. Mêmes les femmes enceintes n'étaient pas épargnées ; les Turcs leur ouvraient le ventre, arrachaient l'enfant et le jetaient au sol.

Grande sensation dans la salle. Le témoin lève la main et dit : « Je le jure ».